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Le fil rouge de mai 2018, la dernière lettre de David Ricatte, élu CGT au Conseil d’Administration du Groupe Air France
« Mon mandat a pris fin le 15 mai dernier, l’heure est venue d’en tirer le bilan. Durant ces 4 années passées à vous représenter au sein du Conseil d’Administration du groupe Air France, j’ai placé comme un fil rouge l’humain au cœur des débats essentiellement centrés sur les aspects financiers. Le cap que m’avait fixé mon organisation syndicale, la CGT Air France, était clair : alerter sans relâche le CA sur la situation sociale vécue par les salariés. La prise en compte du CA n’a pas été à
la hauteur des enjeux, le vote des salariés lors de la consultation démontre que nous avions raison. Notre groupe Air France est empêtré depuis 2012 dans une logique d’économies drastiques où la réduction de la masse salariale est devenue l’Alpha et l’Omega de la politique d’entreprise, à Air France comme à HOP.

Les bijoux de famille vendus un à un
Lors de ce mandat, l’obsession du désendettement a pris le pas sur beaucoup d’autres considérations, notamment l’investissement qui se situe à un niveau trop faible pour assurer un avenir serein au groupe. Les marchés financiers ont imposé leurs exigences. C’est ainsi que le groupe a vendu presque toutes sa participation dans Amadeus, qui a représenté une poule aux œufs d’or pour le groupe lors de la dernière décennie. Servair a été cédée au suisse Gate Group, un des leaders mondiaux du catering, lui-même vendu dans le même temps au groupe chinois HNA, qui rachetait à peu-près tout ce qui bougeait sur la planète. Mais en difficulté financière, HNA est contraint de revendre beaucoup de ses acquisitions récentes. L’avenir de Servair
n’est donc plus aussi assuré que ce que nos dirigeants ont annoncé pour justifier cette vente… Le groupe Air France a également vendu des créneaux de décollage qu’il possédait sur l’aéroport de Londres Heathrow.
En cas de retournement de conjoncture, le groupe Air France serait alors bien affaibli et la direction serait tentée une fois de plus de prendre des mesures structurelles concernant l’emploi. Or nous, salariés du groupe, avons déjà payé un lourd tribut ces 8 dernières années.

Des coûts, des coups, dégoût !
La casse de nos acquis, passés à la moulinette Transform depuis 2012, ainsi que tous les départs en PDV, n’ont répondu qu’à une seule logique : faire baisser les coûts unitaires.
En y regardant de plus près, 2/3 des économies réalisées sur la période l’ont été sur les frais de personnels. Ceci a bien évidemment une limite que nous touchons du doigt aujourd’hui : les coûts de non-conformité opérationnelle pèsent très lourd dans les comptes du groupe Air France (quelques centaines de millions d’euros), entre les affrètements d’avions, les compensations passagers, les frais d’hébergement, les remises commerciales, …
Les départs en PDV ont profondément désorganisé Air France et HOP, au point que le recours à la sous-traitance a été accéléré pour pallier aux sous-effectifs. C’est une hérésie car la performance opérationnelle s’en ressent fortement, ce qui va à l’encontre des objectifs fixés.

Trust Together, un plan qui a raté sa cible
Quand Jean-Marc Janaillac est arrivé aux commandes d’Air France et d’AF-KLM à l’été 2016, il a rapidement compris que la confiance était inexistante à tous les niveaux de l’entreprise. Son plan, baptisé « la confiance ensemble » en français, visait à y remédier. Sauf que Joon est passé par là avec ses embauches PNC à des conditions bien moindres que les PNC Air France. Le dumping social est maintenant réalisé en interne. Est-ce l’outil dont a besoin Air France aujourd’hui ? De plus en plus de spécialistes du transport aérien font écho aux questionnements des syndicats d’Air France. Sauf que les effectifs personnels au sol n’ont cessé de chuter, que l’activité du groupe soit en attrition ou en croissance (- 4 200 emplois équivalent plein temps sur 4 ans). Les conditions de travail n’ont jamais été aussi mauvaises et il convient absolument de nous redonner les moyens de travailler correctement pour assurer une qualité de service et une sécurité des vols optimales, ce qui ressemble de plus en plus à une mission impossible. Il y a pourtant urgence. Jean-Marc Janaillac a reconnu lors de sa démission que ce totem maintes fois évoqué de la confiance n’avait pas été restauré. Les mots c’est bien, les actes c’est mieux. Nous, salariés du groupe, sommes
les créateurs de richesse, nous ne sommes pas un coût. Le départ du PDG, que personne n’a réclamé et qui s’apparente à une partie de roulette russe qui a mal tourné, doit être l’occasion d’un électrochoc salvateur. Pour autant, il serait dangereux de
considérer que son départ a réglé les problèmes. Le « top management » du groupe doit entendre le vote des salariés comme une forte invitation à changer de méthode. Ce serait une folie de penser que les mêmes causes produiraient des effets différents.
Tout ne se mesure pas sur des tableaux Excel. Des salariés bien considérés professionnellement et financièrement produisent plus, tant en quantité qu’en qualité. La productivité doit être abordée sous un angle plus créatif et plus respectueux de nos conditions de travail et de vie. Notre management en est-il capable ? Tel est l’enjeu pour l’avenir.

Dans quel Etat j’erre ?
Autre enjeu fort pour l’avenir, le rôle de l’Etat. Au lieu de prendre position contre la grève, il ferait mieux de travailler à une stratégie porteuse pour le transport aérien français. Sa démission complète depuis la privatisation d’Air France a contribué à placer le groupe dans une posture délicate. L’Etat œuvre plus au développement des low-cost et des compagnies du Golfe qu’à la préservation du pavillon français. Ses errements et sa soumission aux marchés financiers, couplés à son désir de réaliser une vente juteuse de ses actions ADP, s’apparentent à de la haute trahison. Si le gouvernement assume la démission de son rôle, qu’il arrête au moins de jouer les porte-parole de la dérégulation et du libéralisme sauvage, qu’il arrête de nommer les dirigeants d’Air France et surtout, qu’il se taise pendant les conflits sociaux qu’il contribue à créer… Malgré tous ces handicaps, le groupe Air France gagne de l’argent. Reste à réorienter la politique sociale pour que les salariés puissent produire les richesses en toute sérénité. Qu’il en soit ainsi…

Où est la pensée, là est la puissance. Victor HUGO
Je suis fier d’avoir été votre représentant au Conseil d’Administration durant ces 4 années. Je vous laisse entre les mains expertes de monsuccesseur, Eric Degand, qui prend la relève au service exclusif de vos intérêts. Je vous remercie chaleureusement pour la confiance que vousm’avez accordée ainsi qu’à mon organisation syndicale et vous dis à bientôt ».